Suite à l’annonce du confinement national par le gouvernement pour faire face au deuxième pic épidémique, de nouvelles restrictions sont désormais en vigueur pour une durée d’un mois minimum. À la différence du premier confinement, les administrations publiques continuent à fonctionner. Les centres et les permanences de Dom’Asile resteront donc ouverts durant tout le confinement, l’accès aux droits des personnes les plus précaires étant indispensable en cette période difficile.

Dom’Asile informe en plusieurs langues du contexte actuel et des nouvelles mesures les personnes exilées par le biais du site www.domasile-covid.com Créé à la suite de l’annonce du premier confinement, ce site internet temporaire a pour objectif de maintenir et renforcer le lien avec les personnes que nous accompagnons.

C’est un constat accablant et partagé par tou·te·s bénévoles de Dom’Asile : la “machine administrative” redémarre difficilement au lendemain du déconfinement et peine à répondre aux nombreux besoins des personnes exilées.

Sarah, Xavier et Jacques, bénévoles et respectivement responsables des centres de Vincennes, Orsay, et Versailles témoignent de la difficile reprise des activités de leurs centres et de l’accompagnement des personnes dans l’accès à leurs droits sociaux durant cette période inédite.

Comment s’est passée la réouverture de vos centres ?

Jacques : Dom’Asile a mis en place un protocole pour permettre la réouverture des centres tout en garantissant la sécurité sanitaire des personnes domiciliées et des bénévoles. La plupart des centres ont d’abord réouvert uniquement pour distribuer le courrier, les accompagnements se faisant sur rendez-vous pour les cas les plus urgents. 

En effet, la disposition des salles et la vulnérabilité de nos publics et de certains bénévoles à risque ont nécessité beaucoup de prudence dans la reprise des activités. A Versailles, nous avons fait le choix de reprendre rapidement les accompagnements individuels car malgré la mise en place d’outils et de modes de communication à distance, si les personnes ne sont pas familiarisées et/ou ne maîtrisent pas la langue, l’accès à l’information reste très limité. Nous nous rendons compte que l’accompagnement “en tête-à-tête” permet non seulement de résoudre certains problèmes mais surtout de communiquer : comprendre réellement les situations et s’assurer que les informations soient bien comprises en retour.

Sarah : Les deux premières permanences ont été très dures, nous avons reçu beaucoup de monde. Les personnes avaient toutes des masques mais il était difficile de leur faire respecter les mesures de distanciation sociale. Nous avons installé la file d’attente dehors et ne laissons que les personnes accompagnées sur leurs droits à l’intérieur de la salle. Par chance, nous n’avons jamais eu de pluie ! La question reste entière sur comment on fera quand le temps ne nous permettra plus de faire patienter tout le monde dehors.

Xavier : L’équipe d’Orsay a rédigé un protocole détaillant les mesures mises en place pour la distribution du courrier : écran de plexiglas, liquide hydro-alcoolique et masque pour tout le monde, file d’attente, désinfection… Mais il était difficile de ne pas entendre les demandes d’aide pour comprendre un courrier ou faire une démarche. Nous avons donc décidé de reprendre l’accompagnement individuel sur rendez-vous uniquement, afin de maîtriser le nombre limité de personnes présentes simultanément dans les locaux. Cela ne s’est pas fait sans difficultés, il est en souvent difficile de respecter un horaire de rendez-vous, entre les contraintes personnelles et professionnelles des personnes que nous accueillons, les problèmes de transport, la barrière de la langue qui ne permet pas toujours de s’assurer que la date et l’horaire soient compris…

Quels sont les problèmes rencontrés par les domicilié·e·s au lendemain du déconfinement ? 

Sarah : La première difficulté pour les personnes accueillies, c’était la connaissance de leurs droits. Il a fallu communiquer sur le prolongement automatique de 6 mois des titres de séjour expirant entre le 16 mars et le 15 juin 2020. Beaucoup de personnes l’ignoraient et étaient donc très inquiètes, il fallait les rassurer. Le problème, c’est que beaucoup nous disent encore que leurs employeurs ne veulent pas savoir et considèrent que si le titre est périmé, il n’est plus valable. Nous avons dû créer une “fiche explicative” remises aux personnes concernées pour qu’elles aient un justificatif. Les cas de blocage avec la Caf ont été aussi très nombreux. Le prolongement des titres de séjour n’était pas automatiquement fait et les personnes ne savaient pas comment justifier de leurs droits. On a passé beaucoup de permanences et encore aujourd’hui à demander à la CAF de régulariser les situations. Une fois contactée, la CAF a été assez réactive mais globalement, seules les personnes qui ont eu le temps de patienter pour être accompagnées ont pu obtenir leurs versements. Qu’en est-il des autres ? Aujourd’hui, le problème majeur reste le renouvellement des titres de séjour qui ont expiré après le 15 juin ce qui entraîne l’interruption de tous les droits : Solidarité transport, CAF, Pôle emploi… Il est très difficile de trouver des solutions car les préfectures sont inaccessibles. J’ai fini par réussir à obtenir un contact cette semaine à la préfecture de Créteil qui m’a débloqué quatre rendez-vous en urgence pour la fin du mois juillet mais nous avons des personnes sans droit depuis bientôt un mois !

Xavier : L’inaccessibilité des préfectures est en effet un véritable problème. La préfecture a émis un document expliquant son organisation pour le renouvellement des titres de séjour et a mis en place un système de rendez-vous dématérialisé, qui connaît quelques ratés. Pour certains cas le système est déjà saturé, la prise de rendez-vous pour renouveler un récépissé expiré après le 15 juin ne pourra pas se faire avant mi-octobre !

Jacques : Au delà de l’inaccessibilité des préfectures, beaucoup de réfugié·e·s domicilié·e·s à Versailles ont perdu leur travail pendant le confinement, notamment dans le secteur de la restauration, et n’ont pas bénéficié du chômage partiel, l’employeur n’ayant pas fait le nécessaire de son côté. Un certain nombre d’entre eux ont finit par obtenir les 80% de salaires mais avec des mois mois de retard. Enfin, il y a le problème de la domiciliation : après obtention du statut de réfugié, les SPADA (Structures de Premier Accueil des Demandeurs d’Asile) continuent à domicilier les personnes pendant encore 6 mois. Passé ce délai, les personnes se retrouvent sans adresse postale. Or, nous n’avons pas été en capacité d’instruire de nouvelles domiciliations pendant le confinement. À la réouverture, certains centres ont fait face à l’afflux massif de demandes et ont été malheureusement contraints de suspendre les nouvelles domiciliations. Cela continue à créer beaucoup d’inquiétude chez les personnes réfugiées ou déboutées, l’adresse postale étant la porte d’accès à l’ensemble de leurs droits sociaux. 

 

Propos recueillis par Jodie Delfour Barsacq / Photographie : © Maxence Torillioux

Tout au long de la période de confinement, les équipes bénévoles de Dom’Asile se sont efforcées de maintenir le lien avec nos publics et ont développé des méthodes et outils afin d’expérimenter l’accompagnement à distance. Par ailleurs, il a été nécessaire de défendre le maintien des droits des personnes exilées durant la période de crise sanitaire et de rappeler aux pouvoirs publics leur devoir de mise à l’abris des personnes vulnérables.

Accompagnement à distance de nos publics

Dès l’annonce du confinement par le gouvernement, nos équipes se sont organisées pour informer les personnes domiciliées dans nos centres de leurs fermetures et proposer des permanences à distance pour les situations nécessitant l’intervention des bénévoles. Nos publics ont été informés de ce fonctionnement par mail ou sms, dans la mesure du possible, ou par le biais des affiches installées à l’entrée des centres. Sarah, bénévole responsable du centre de Vincennes témoigne de cette organisation :

Nous n’avons jamais totalement fermé puisque nous assurions une permanence téléphonique, et avons même pu distribuer quelques courriers urgents quand c’était nécessaire (carte bleue, chèque ..). Pour éviter un engorgement à la réouverture, nous avons assuré des domiciliations à distance, une cinquantaine de personnes avaient pris rendez-vous avant la fermeture des permanences, elles ont toutes été contactées et domiciliées.”

Pour autant, les bénévoles s’accordent à souligner les limites de l’accompagnement à distance, notamment pour les personnes ne maîtrisant pas la langue. Jacques, responsable du centre de Versailles et Président de Dom’Asile explique la difficulté à maintenir les liens :

“Certaines personnes avaient nos coordonnées et se sont manifestées pour nous signaler leur problème. Mais ce n’était pas le cas pour la majorité. À distance, encore plus qu’en présentiel, la difficulté est de pouvoir s’exprimer sans maîtriser le français ni l’anglais et de clarifier une situation souvent complexe… Les personnes allophones et peu familières aux nouvelles technologies se sont malheureusement retrouvées exclues du dispositif d’accompagnement à distance.”

Consciente de ces limites mais aussi des opportunités, Dom’Asile a fait le choix de développer des outils multilingues tels que des tutoriels vidéos traduits en plusieurs langues, pour aider les personnes exilées dans leurs démarches administratives (« Comment faire sa déclaration d’impôts 2019”). Dom’Asile a aussi conçu le site d’informations www.domasile-covid.com, dont le contenu est disponible en français, arabe, bengali, anglais, russe et ourdou. Cette période aura au moins permis d’amorcer une réflexion sur le développement généralisé de ce type d’outil, dans l’objectif de renforcer l’autonomie de nos publics dans leurs démarches administratives.

Actions de plaidoyer

Parallèlement à l’accompagnement à distance, Dom’Asile a travaillé en inter-associatif à la rédaction de courriers d’interpellation aux administrations pour demander le prolongement automatique des droits des personnes exilées pendant l’épidémie de Covid 19 (Aide Médicale d’État, Complémentaire Santé Solidaire, Solidarités Transports…) et exiger une meilleure prise en charge des personnes à la rue. 

 “ Les droits fondamentaux des personnes vivant sur les campements du canal Saint-Denis sont quotidiennement bafoués”

>> Lire le communiqué

Auprès de 16 associations et collectifs de défense des droits des étrangers, Dom’Asile a déposé le 28 mai un « référé-liberté » auprès de la juridiction, estimant que l’Etat et les collectivités avaient été « défaillants », dans le contexte d’urgence sanitaire, n’ayant pas pris les mesures pour protéger les migrant.e.s vivant au bord du canal Saint-Denis. Suite à cette action en justice, les pouvoirs publics ont sommés de garantir aux sans-abri un accès à l’eau, des douches, des sanitaires, ainsi que des masques et du gel hydroalcooliques.

Auteure : Jodie Delfour Barsacq / Photographie : © Maxence Torillioux